La réparation intégrale des dommages matériels comprend l’intégralité des sommes nécessaires à la réfection de l’ouvrage, y compris le coût des déménagements des matériels existants lorsqu’ils sont indispensables à la réalisation des travaux de réfection.
En l’espèce, une société ayant subi le préjudice d’un incendie de ses bâtiments d’exploitation a entrepris la reconstruction de ses locaux. La maîtrise d’oeuvre a été confiée à une entreprise, ayant souscrit une assurance de responsabilité obligatoire, qui a eu recours à une troisième entreprise pour le lot dallages, également assurée au titre de cette obligation légale. Après expertise et réception sans réserves de l’ouvrage, des fissures du dallage sont apparues. Consécutivement au dépôt du rapport de l’expert désigné par voie d’ordonnance, la société victime a assigné les intervenants à la réfection de l’ouvrage en indemnisation de ses préjudices. Contestant l’arrêt infirmatif rendu par la cour d’appel de Paris le 1er avril 2009, les parties au litige ont formé deux pourvois en cassation joints par la haute juridiction.
Un des enjeux principaux de l’affaire réside dans l’application du principe de réparation intégrale des dommages matériels. La présomption de responsabilité de plein droit du constructeur d’ouvrage découlant de l’article 1792 du Code civil porte sur un domaine précis qui détermine l’étendue de la couverture de l’assurance de responsabilité imposée par l’article L. 241-1 du Code des assurances. Seuls sont couverts au titre de cette assurance les dommages compromettant la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.
Le principe de réparation intégrale exige que l’assuré répare les seuls dommages matériels mais tous les dommages matériels, dans les limites de son secteur d’activité professionnelle déclarée (Civ. 3e, 27 janv. 2010, n° 09-10.484). Si les frais engagés pour les déménagements des matériels existants étaient qualifiés de dommages immatériels, ils seraient exclus du champ de couverture.
Les dommages consécutifs aux désordres de l’ouvrage ne relèvent en effet pas de l’assurance responsabilité obligatoire, mais d’une autre assurance dont la souscription demeure facultative. Cette dichotomie a récemment été affinée puisque la qualification de dommage matériel ne suffit pas : encore faut-il que les frais engagés soient indispensables et non pas seulement nécessaires à la réfection de l’ouvrage (Civ. 3e, 13 janv. 2010).
La Cour de cassation reprend cette exigence et confirme l’arrêt de la cour d’appel en ce qu’il indique que les dépenses « manutention racks »et »manutention process » relatives à la reprise du matériel étaient bien indispensables à la réfection intégrale du dallage.
La Cour de cassation devait également se prononcer sur les désordres affectant l’ouvrage, en l’occurrence le dallage. Elle sanctionne clairement le manque de rigueur des juges du fond. De manière générale, la jurisprudence admet la couverture de risques futurs mais certains ou encore évolutifs (Civ. 3e, 21 mai 2003, RDI 2003. 353). S’agissant de ces derniers, trois conditions doivent être réunies pour que ces désordres relèvent de la garantie décennale :
1- les désordres initiaux doivent avoir été dénoncés dans le délai de la garantie,
2- la condition de gravité de l’article 1792 les concernant doit avoir été satisfaite avant l’expiration du délai de dix ans,
3- les nouveaux désordres doivent bien être l’aggravation, la suite ou la conséquence des désordres initiaux, et non pas des désordres nouveaux sans lien de causalité avec les précédents
Au moment de l’expertise, les désordres n’affectaient qu’une partie du dallage, à l’exception notamment de la zone « fabrication ». Sans doute convaincue par l’expertise réalisée à l’initiative de la seule société victime et démontrant l’extension ultérieure des désordres à la zone « fabrication ». La cour d’appel de Paris a estimé que ces désordres initiaux allaient se répandre sur l’intégralité du dallage. Elle a eu recours à un artifice juridique consistant à appréhender le dallage, découpé en zones, en un seul ouvrage global. Partant, elle a étendu le régime des désordres constatés par l’expert judiciaire à l’ensemble de l’ouvrage, se dispensant ainsi de vérifier si la condition de gravité de l’article 1792 du Code civil était respectée pour l’intégralité du dallage.
La Cour de cassation sanctionne la cour d’appel en ce qu’elle a omis de vérifier si les fissurations compromettaient la solidité de l’ouvrage ou le rendaient impropre à sa destination ou qu’elles le feraient dans les dix années à compter de la réception.
Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 20 octobre 2010 n° 09-15093