La cour d’appel d’Amiens considère que le droit de préemption de l’article L 145-46-1 du Code de Commerce est d’interprétation stricte et qu’une vente qui porte sur un local commercial et sur deux immeubles distincts à usage d’habitation doit faire l’objet d’une purge du droit de préemption pour le local commercial.
En l’espèce, par acte reçu le 21 novembre 2013 reçu par Me W. (le notaire), les consorts C. (les vendeurs) ont consenti une promesse de vente à M. S. sur plusieurs immeubles situés à Lacroix-Saint-Ouen, pour la réalisation d’un projet immobilier auquel la société X a participé. Cette promesse devenue caduque, une nouvelle promesse authentique a été régularisée, le 19 décembre 2014, au profit des sociétés X et Y (les acquéreurs), portant sur trois des immeubles concernés par la précédente promesse, au prix de 484 900 euros, à savoir :
– une maison d’habitation au […] (article 1),
– un immeuble au […], loué à usage commercial (article 2),
– deux maisons d’habitation et une grange au […] (article 3).
Diverses conditions suspensives étaient prévues dont celle de non-exercice de son droit de préemption par le locataire commercial, la vente pouvant dans ce cas se poursuivre sur les biens restant.
Par acte du 13 janvier 2015, les vendeurs ont informé le locataire commercial de la vente du bien article 2, offre que celui-ci a acceptée le 30 janvier 2015.
Le 23 juin 2015, le notaire a adressé à la mairie de Lacroix-Saint-Ouen des déclarations d’intention d’aliéner concernant les biens articles 2 et 3, article 3 sur lequel la commune a exercé son droit de préemption par décision du 21 juillet 2015.
Un recours a été formé devant le juge administratif contre cette décision qui a été annulée par le tribunal administratif d’Amiens le 3 octobre 2017.
Les 21 et 25 novembre 2015, les biens articles 3 et 2, ont été respectivement vendus à la commune et au locataire commercial.
Les acquéreurs évincés estimant le notaire responsable de l’échec de leur projet immobilier, l’ont assigné en responsabilité.
Par jugement du 10 juillet 2018, le tribunal de grande instance de Compiègne a pour l’essentiel retenu la responsabilité du notaire et l’a condamné à payer à chaque acquéreur la somme de 5 000 euros.
C’est dans ce contexte en recherche de responsabilité du notaire que le sujet du respect du droit de préemption est abordé.
Examinant le premier argument invoqué par les acquéreurs, la Cour d’appel d’Amiens considère que le droit de préemption instauré par la loi du 18 juin 2014 et codifié à l’article L. 145-16-1 du code de commerce est applicable aux baux en cours, dès lors que la vente du local intervient « à compter du sixième mois qui suit la promulgation de la loi », selon l’article 21 de cette loi, soit à compter du 18 décembre 2014.
Ainsi, la seconde promesse de vente ayant été régularisée, avec l’accord des parties, le 19 décembre 2014, la loi précitée était incontestablement applicable et le non-exercice du droit de préemption du locataire commercial a d’ailleurs été érigé en condition suspensive de la promesse.
Contrairement à ce que soutiennent les acquéreurs, la vente envisagée relevait du champ d’application de l’article L. 145-16-1, ses exceptions étant d’interprétations strictes.
Cet article exclut notamment de son application la cession globale d’un immeuble comprenant des locaux commerciaux.
Or, l’immeuble (article 2) comprend uniquement un local commercial et la promesse concerne trois immeubles distincts et non un immeuble unique comme l’exige le texte précité.
La Cour d’appel considère que le notaire a donc, à juste titre, informé le locataire commercial de la vente envisagée. Ce premier manquement doit être écarté.
Cependant, on peut s’interroger sur une telle analyse.
En effet, la première phrase de l’article L 145-46-1 du Code de Commerce dispose que:
« Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire… »
En d’autres termes, le propriétaire envisage-t-il de vendre seulement au moment de signature de la promesse ou avant ? La Cour d’appel d’Amiens semble indiquer que son intention est matérialisée après la signature de la promesse ou est-ce par ce que le locataire a exercé son droit de préemption et que ce dernier n’a pas invoqué la nullité qu’elle considère qu’il n’y a pas de manquement.
De notre analyse, cette question reste un sujet de débat qui devra être tranché par la Cour de Cassation.
Un second enseignement pourrait être tiré de cette décision à savoir que les exceptions de l’article L 145-46-1 du Code de Commerce « sont d’interprétation strictes ».
Cela veut-il dire qu’en cas de cession d’un immeuble entier d’habitation avec un local commercial, il conviendrait de purger le droit de préemption de l’article L 145-46-1 du Code de Commerce privant ainsi son propriétaire de la libre disposition de son bien ?
Là encore, une décision éclairante de la Cour de Cassation serait le bienvenu.
Cour d’appel, Amiens, 1re chambre civile, 2 Juin 2020 n° 18/03859