En matière de baux commerciaux, pour l’application du droit de préemption de l’article L 145-46-1 du Code de Commerce, la Cour de Cassation (1) ne sanctionne pas le fait qu’une promesse de vente soit signée avec un tiers avant la notification du droit de préemption et (2) considère que la non-réalisation de la vente dans le délai prévu par l’article L. 145-46-1 du code de commerce rend sans effet l’acceptation de l’offre de vente lorsqu’elle est imputable au locataire qui l’avait initialement acceptée.
1- Sur la signature antérieure d’une promesse de vente
Pour mémoire, l’article L 145-46-1 du Code de Commerce dispose en son alinéa 1 que:
« Lorsque le propriétaire d’un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. »
Cette disposition laissait entendre que la notification devait intervenir dès l’intention de vendre du propriétaire.
La jurisprudence a considéré récemment que le propriétaire de locaux commerciaux peut (Cour de cassation, 3e chambre civile, 23 Septembre 2021 n°20-17.799):
- avant la notification de la purge du droit de préférence signer un mandat de vente afin de déterminer la valeur du bien et l’existence d’un marché,
- après la notification du droit de préférence mais avant l’expiration du délai accordé au preneur pour lever l’option signer une promesse unilatérale de vente sous condition suspensive qu’il soit purgé,
- indiquer le montant des honoraires de l’agent immobilier en précisant qu’ils ne seront pas à la charge du locataire.
(Cour de cassation, 3e chambre civile, 23 Septembre 2021 n°20-17.799):
En l’espèce, Mme [O] a consenti à M. [X], le 27 février 2018, une promesse de vente portant sur un local commercial donné à bail à Mme [E], épouse [Y].
Le lendemain, la bailleresse a notifié à la locataire une offre de vente aux clauses et conditions acceptées par l’acquéreur. Le 27 mars, la locataire lui a notifié son acceptation de l’offre de vente et son intention de recourir à un prêt.
Ni la cour d’appel, ni la Cour de Cassation n’ont prononcé la nullité de la promesse au motif qu’elle ait été préalable à la notification du droit de préemption au locataire.
Il n’y a qu’un pas à franchir pour considérer dorénavant qu’une promesse de vente pourrait être signée avant la notification du droit de préemption.
2- Sur le respect du délai de réalisation de la vente
Pour mémoire, l’article L 145-46-1 du Code de Commerce dispose en son alinéa 4 que:
« Le locataire qui accepte l’offre ainsi notifiée dispose, à compter de la date d’envoi de sa réponse au bailleur ou au notaire, d’un délai de deux mois pour la réalisation de l’acte de vente. Si, dans sa réponse, il notifie son intention de recourir à un prêt, l’acceptation par le locataire de l’offre de vente est subordonnée à l’obtention du prêt et le délai de réalisation de la vente est porté à quatre mois. Si, à l’expiration de ce délai, la vente n’a pas été réalisée, l’acceptation de l’offre de vente est sans effet. »
En d’autres termes, si passé le délai de deux ou quatre mois selon que le preneur ait recours à un financement ou pas, la vente n’est pas réalisée, l’acceptation faite précédemment est sans effet.
Discrètement, la Cour de Cassation précise que cela est applicable dans l’hypothèse où le non respect de ce délai de deux mois est imputable au locataire. La Cour de Cassation n’ajoute-t-elle pas une condition à cette disposition d’ordre public qui n’existe pas dans le texte ? Point de réponse à cette question.
En l’espèce, pour rappel, Mme [O] a consenti à M. [X], le 27 février 2018, une promesse de vente portant sur un local commercial donné à bail à Mme [E], épouse [Y].
Le lendemain, la bailleresse a notifié à la locataire une offre de vente aux clauses et conditions acceptées par l’acquéreur. Le 27 mars, la locataire lui a notifié son acceptation de l’offre de vente et son intention de recourir à un prêt.
Le 27 juillet 2018, M. et Mme [Y], ont assigné à jour fixe Mme [O], Mme [H] et la SCP [M], en réalisation de la vente à leur profit.
M. [X] est intervenu volontairement à l’instance.
La Cour de cassation, dans cette affaire, considère que la purge du droit de préférence a valablement été mise en œuvre et que le non respect du délai de réalisation de la vente est imputable au Preneur.
En effet, la Cour de Cassation considère que la cour d’appel, a exactement énoncé que l’acte de vente devait être reçu le 27 juillet 2018 au plus tard, et a souverainement estimé que le défaut de réalisation de la vente dans le délai de quatre mois était imputable à la seule absence de diligences de Mme [Y].
En l’espèce, le manque de diligences de Mme Y est caractérisée par les éléments suivants:
- le notaire qui devait recevoir l’acte n’a été mandaté que 8 jours avant l’expiration du délai,
- le prêt, contrairement à ce qui était annoncé dans les courriers de Me [F] à Me [H] des 20 et 24 juillet n’était pas encore conclu à ces dates puisque l’acte sous seing privé de prêt est daté du 25 juillet ;
- les fonds prêtés n’étaient pas à cette date sur le compte de Me [S], notaire salarié de la SCP, puisqu’ils n’ont été virés depuis le compte de la société Camarguaise d’investissements, prêteur, sur le compte de cette étude que le 25 juillet,
- l’avis d’opération de virement de la somme de 260 000 euros sur le compte de Me [H] annoncé par Me [F] dans son courrier du 26 juillet n’est pas versé aux débats
- Me [H] indique dans ses conclusions n’avoir pas été dépositaire de fonds émanant des époux [Y] ;
- l’acte de prêt du 25 juillet précise que Me [B] [S] devra intervenir en concours avec le notaire en charge de la vente pour prendre une hypothèque sur le bien objet de l’acquisition en garantie du prêt de 260 000 euros, mais qu’il n’apparaît pas que Me [S] ait pris l’attache de Me [H] pour lui communiquer les éléments nécessaires pour intégrer dans l’acte de vente à recevoir la constitution d’une hypothèque conventionnelle au profit de la société Camarguaise d’investissements
- Mme [L] [E] épouse [Y] ne pouvait se déplacer et qu’une procuration devait donc être reçue préalablement à la signature, ce qui aurait dû être envisagé bien avant le 24 juillet
Ainsi, selon la Cour de Cassation, la cour d’appel a justement retenu que la locataire ne pouvait obtenir une dérogation ou une prorogation du délai octroyé par l’article L 145-46-1 du Code de Commerce, et que son assignation en réalisation de la vente délivrée le 27 juillet 2018 ne permettait pas de pallier l’absence de signature de l’acte de vente à l’expiration du délai.
Cour de cassation, 3e chambre civile, 24 Novembre 2021 n° 20-16.238