Commet un abus de droit, le bailleur qui poursuit son locataire en ouverture d’une procédure collective alors qu’il est opposé à lui dans de nombreux litiges et a ainsi tenté de se faire payer des créances dépourvues de caractère certain et exigible.
Pour mémoire, en application des articles L 631-5, al. 2 et L 640-5, alinéa 2 du Code de Commerce, le redressement ou la liquidation judiciaire peut être ouverte sur assignation d’un créancier du débiteur, quelle que soit la nature de sa créance.
Cependant, cette créance doit être certaine, liquide et exigible (Cour de Cassation , Chambre Commerciale, 2 décembre 2014 n° 13-20.203).
Mais, même si cela est recommandé, il n’est pas nécessaire qu’elle soit assortie d’un titre exécutoire (Cour de Cassation , Chambre Commerciale, 28 juin 2017 n°16-10.025), étant précisé qu’une condamnation au paiement d’une provision permet de caractériser un passif exigible (Cour de Cassation , Chambre Commerciale, 16 janvier 2019, n° 17-18.450). Avec une décision, c’est toujours plus facile.
Le créancier qui assigne abusivement son débiteur peut être condamné à des dommages-intérêts. L’abus est par exemple caractérisé lorsque le créancier a utilisé l’assignation comme moyen de pression pour obtenir le règlement de certaines dettes (Cass. com. 1-10-1997 n° 95-13.262 P : RJDA 12/97 n° 1537). Le créancier peut en outre être condamné à payer une amende civile de 10 000 € (CPC art. 32-1).
En l’espèce, la bailleresse des locaux commerciaux loués par la société débitrice doit être déboutée de sa demande d’ouverture d’une procédure collective contre cette dernière.
S’il est soutenu que la locataire se trouve en état de cessation des paiements en raison d’impayés de loyers, il apparaît que la créance de loyer réclamée n’a pas de caractère certain qui permette de la retenir comme une dette exigible alors qu’il n’est pas fait état d’autres dettes dues.
L’assignation en procédure collective n’est qu’une des nombreuses procédures engagées entre les parties au cours des dernières années.
Cette procédure est de nature à porter atteinte à l’existence même de la société locataire alors que les parties sont en litige autour de l’indemnité d’éviction et de l’indemnité d’occupation.
L’utilisation de cette procédure constitue donc un abus de la part de la bailleresse pour tenter de se faire payer des créances en discussion.
La bailleresse doit donc être condamnée au paiement de dommages et intérêts de 30 000 euros pour procédure abusive.
Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 9, 16 Février 2023 n°21/19512