Lorsque la propriété d’un fonds de commerce est démembrée entre un usufruitier qui a la qualité de commerçant et un nu-propriétaire qui n’a pas cette qualité, le nu-propriétaire doit être immatriculé au registre du commerce et des sociétés en qualité de propriétaire non-exploitant pour permettre l’application du statut des baux commerciaux.
N° 05-20.200. – C.A. Montpellier, 4 octobre 2005.
M. Weber, Pt. – M. Assié, Rap. – M. Cuinat, Av. Gén. – SCP Tiffreau, Me Blanc, Av.
Note sous 3e Civ., 5 mars 2008, n° 1026 ci-dessus
L’article L. 145-1 I du code de commerce subordonne l’application du statut des baux commerciaux à l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés du locataire, personne physique ou morale, propriétaire du fonds exploité dans les lieux loués. Dans le dernier état de la jurisprudence de la troisième chambre civile de la Cour de Cassation, cette exigence ne s’impose cependant qu’au moment où le bénéfice du statut est revendiqué, c’est-à-dire à la date de délivrance du congé par le bailleur ou à la date de renouvellement du bail lorsque le preneur a pris l’initiative du congé, ou encore à la date d’effet du congé, autrement dit lorsque se pose la question du droit au renouvellement. En revanche, l’immatriculation n’est pas exigée pendant le cours du bail (jurisprudence constante), ni dans la période intermédiaire entre la date du congé et celle de son effet (3e Civ., 28 janvier 2004, Bull. 2004, III, n° 14), ni encore après l’expiration du bail (3e Civ., 29 septembre 2004, Bull. 2004, III, n° 159). Lorsque le fonds de commerce est la propriété indivise de plusieurs personnes et qu’il est exploité dans un local pris à bail, chacun des copreneurs doit être immatriculé au registre du commerce et des sociétés, même si tous ne participent pas à l’exploitation du fonds (3e Civ., 15 juin 2005, Bull. 2005, III, n° 129, pour un copreneur valablement immatriculé en qualité de copropriétaire non-exploitant). Cette rigueur n’est atténuée que pour l’indivision successorale, où il suffit que celui qui exploite le fonds dans l’intérêt commun soit immatriculé (3e Civ., 11 décembre 1991, Bull. 1991, III, n° 312), ou pour le fonds dépendant de la communauté de biens existant entre les époux, l’immatriculation n’étant exigée que de celui qui exploite le fonds dans l’intérêt commun (3e Civ., 12 octobre 1987, Bull. 1987, n° 95). Mais la règle s’applique aux époux séparés de biens (3e Civ., 24 mars 2000, Bull. 2000, III, n° 112, et 18 mai 2005, Bull. 2005, III, n° 109).
Fallait-il créer une troisième exception lorsque la propriété du fonds de commerce est démembrée entre l’usufruit du conjoint survivant et la nue-propriété du descendant direct, et que seul l’usufruitier, exploitant le fonds, est régulièrement immatriculé au registre du commerce et des sociétés ?
En posant pour principe que lorsque la propriété d’un fonds de commerce est démembrée entre un usufruitier qui a la qualité de commerçant et un nu-propriétaire qui n’a pas cette qualité, le nu-propriétaire doit être immatriculé au registre du commerce et des sociétés en qualité de propriétaire non-exploitant pour permettre l’application du statut des baux commerciaux, l’arrêt rapporté du 5 mars 2008 a répondu par la négative à cette question.
Cette solution s’explique au regard des exigences statutaires. En effet, le moyen partait du principe qu’usufruit et nue-propriété sont des démembrements du droit de propriété, constitutifs en tant que tels de droits réels, et il en déduisait que l’usufruitier, qui seul jouit et use de la chose pendant toute la durée de l’usufruit, devait être considéré comme propriétaire du fonds de commerce, au sens de l’article L. 145- 1 I du code de commerce, et que, dès lors qu’il était régulièrement immatriculé au registre du commerce et des sociétés en tant qu’exploitant du fonds, il devait bénéficier du droit au renouvellement, même si le nu-propriétaire, totalement étranger à la gestion du fonds, n’était pas immatriculé. Mais cette analyse ne pouvait être suivie dès lors que l’obligation d’immatriculation, posée par le texte susvisé, s’impose à toute personne titulaire d’un droit de propriété propre sur le fonds de commerce et qu’il ne peut être contesté que le nu-propriétaire conserve son droit de propriété sur le bien pendant toute la durée de l’usufruit, même s’il en a temporairement délégué l’exercice, et encore sous certaines limites, à l’usufruitier. De plus, l’immatriculation, comme condition d’exercice du droit au renouvellement, ne se confond pas avec la qualité de commerçant, sauf à ajouter une condition qu’il ne comporte pas à l’article L. 145-1 I du code de commerce, qui vise l’activité commerciale effectuée dans les locaux loués, sans pour autant imposer la qualité de commerçant au propriétaire du fonds, assujetti en cette seule qualité à immatriculation en cas de copropriété du fonds.
Source: Cour de Cassation