La fraude commise lors de la conclusion de baux dérogatoires successifs interdit au bailleur de se prévaloir de la renonciation du preneur au droit à la propriété commerciale.
Contournant le jeu de la propriété commerciale, un bailleur avait, au visa de l’article L. 145-5 du code de commerce, conclu un premier bail de vingt-trois mois avec une société, puis, sur le même fondement et pour la même durée, un deuxième avec un prête-nom (en l’occurrence, un associé majoritaire de la société) et un troisième, avec la société bénéficiaire du premier contrat. Par une clause expresse contenue dans cette dernière convention, le preneur déclarait renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux.
Se posait ainsi, à titre principal, la question de la validité de cette renonciation. De manière incidente, le bailleur prétendait en outre que l’action en revendication de la propriété commerciale intentée par la société était atteinte par la prescription biennale de l’article L. 145-60 du code de commerce.
Concernant la renonciation du preneur au bénéfice des articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, la haute juridiction censure le juge du fond pour avoir considéré que la clause était valable et devait produire ses effets pleins et entiers.
Cette censure intervient sans surprise en présence d’un comportement frauduleux.
Or, le comportement frauduleux du bailleur ne faisait ici pas de doute, le prête-nom n’étant pas immatriculé au registre du commerce et des sociétés (RCS), le commerce exploité étant toujours le même et les loyers et les charges étant toujours réglés par la société.
En ce sens une jurisprudence constante rappelle que la succession de baux dérogatoires de courte durée consentis, en alternance, au locataire et à des tiers, agissant comme prête-noms, a pour but de faire échec à l’application du statut des baux commerciaux, et cette fraude interdit au bailleur de prétendre que le locataire a valablement renoncé à son droit acquis au bénéfice de ce statut (Civ. 3e, 9 févr. 1994, Administrer juill. 1994. 16, note Barbier ; 13 janv. 1999, AJDI 1999. 241 ; Paris, 27 oct. 2005, AJDI 2006. 123 ; V. encore, en ce sens qu’un contrat signé en fraude des droits du preneur va conduire à interdire au bailleur d’invoquer la renonciation de son cocontractant et les clauses du bail ainsi corrompu, Civ. 3e, 1er avr. 2009, D. 2009. AJ 1140, obs. Rouquet ; RTD com. 2009. 529, obs. Kendérian).
Quant à l’argument de la prescription de l’action en revendication de la propriété commerciale par la société preneuse, il n’est pas retenu : appliquant encore l’adage, fraus omnia corrumpit, la Cour de cassation approuve la cour d’appel pour avoir jugé que le délai de prescription avait été suspendu pendant la durée du bail conclu avec le prête-nom.
Cette solution apparaît justifiée dans la mesure où, ainsi que le relève le juge d’appel, la société était dans l’impossibilité d’exercer son action en revendication de la propriété commerciale pendant la durée du bail dérogatoire conclu avec le prête-nom.
Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 8 avril 2010 n° 08-70338