Le prêteur qui débloque une partie des fonds alors qu’il n’a pas reçu copie de la garantie de livraison à prix et délai convenus commet une faute qui prive les maîtres d’ouvrage d’une chance d’éviter la faillite de leur projet.
Dans le cadre d’un contrat de construction de maison individuelle (CCMI), un banquier a consenti un prêt ; le chantier a débuté sans garantie de livraison financière d’achèvement ni assurance dommages-ouvrage. La liquidation judiciaire du constructeur a conduit les accédants à intenter une action en paiement à l’encontre du prêteur sur le fondement des articles L. 231-10 et suivants du code de la construction et de l’habitation (CCH).
Condamné par les juges du fond, l’établissement de crédit arguait dans son pourvoi d’une faute de la victime constitutive d’une cause d’exonération partielle de responsabilité. En effet, il reprochait aux particuliers d’avoir manqué à leur obligation de veiller à l’obtention des garanties qui conditionnent la bonne fin du chantier et, en particulier, de s’assurer que la condition suspensive tenant à l’obtention par le constructeur d’une attestation de garantie de livraison était satisfaite.
La Cour de cassation rejette ces arguments et reprend le raisonnement de la cour d’appel de Paris : la banque a commis une faute en remettant une partie des fonds alors qu’elle n’avait pas reçu copie de la garantie de livraison à prix et délai convenus. Elle rattache causalement ce manquement fautif au préjudice subi par les maîtres d’ouvrage, en ce qu’ils ont perdu une chance d’éviter la faillite de leur projet. Enfin, sur la question de la faute des époux acquéreurs, la Cour juge qu’ils n’étaient pas tenus de s’assurer de la délivrance de l’attestation de garantie de livraison.
La faute du banquier. Cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel acquis : le banquier peut valablement émettre une offre de prêt lorsque le CCMI est conclu sous les conditions suspensives de l’obtention d’une assurance dommages-ouvrage et d’une garantie de livraison, sans avoir à sa charge l’obligation de vérifier la réalisation de ces conditions (V. Civ. 3e, 25 févr. 2009, Bull. civ. III, n° 49 ; 16 déc. 2009, Bull. civ. III, n° 281). Son obligation de contrôle de la régularité du CCMI (CCH, art. L. 231-10) se limite aux mentions imposées par l’article L. 231-2 du code de la construction et de l’habitation. En revanche, en application de ces prescriptions, il commet une faute lors de l’exécution de ses obligations s’il délivre une partie des fonds sans être en possession d’une copie de la garantie de livraison.
En outre, rappelons que la jurisprudence considère que l’obligation du prêteur de fonds se limite au contrôle formel de l’existence de l’attestation de garantie de livraison fournie par le constructeur (en ce sens, V. Civ. 3e, 26 sept. 2007, le prêteur n’est pas tenu de vérifier les conditions de la délivrance de l’attestation, Bull. civ. III, n° 150; 25 févr. 2009, Bull. civ. III, n° 49).
Rares sont les situations dans lesquelles le constructeur de maisons individuelles pourra espérer se décharger de sa responsabilité en cas de déblocage anticipé des fonds : l’on peut penser aux fonds affectés à l’acquisition du terrain (V. Civ. 3e, 12 sept. 2007, Bull. civ. III, n° 134) ; à l’imminence de la délivrance de l’attestation de garantie (Nancy, 25 nov. 2009, préc.).
En tout état de cause, le maître d’ouvrage n’a pas à s’assurer de la délivrance de la garantie de livraison : l’obligation de contrôle (CCH, art. L. 231-10, préc.) à la charge du prêteur a été instaurée dans un souci de prévention et de protection de l’accédant. Ces objectifs poursuivis par le législateur ressortent d’ailleurs expressément des dispositions de l’article L. 231-6 du code de la construction et de l’habitation, relatif à la garantie de livraison.
Au-delà de ces aspects qui relèvent de la responsabilité civile du banquier, précisons que la non-obtention de la garantie de livraison peut également faire l’objet d’une sanction pénale, en application de l’article L. 241-8 du code de la construction et de l’habitation.
Le dommage de l’accédant. Il est intéressant enfin de s’arrêter sur le préjudice de perte de chance qui fonde le droit à réparation des accédants, en ce qu’il est relatif à l’anéantissement de leur projet. L’on peut rapprocher cette hypothèse d’un arrêt récent, dans lequel la troisième chambre civile a indemnisé le maître d’ouvrage de la « perte de chance de se détourner d’un constructeur peu respectueux de la législation en vigueur » (V. Civ. 3e, 25 janv. 2012, n° 10-24.873, Dalloz jurisprudence).
Le lien de causalité. La jurisprudence veille scrupuleusement à la caractérisation du lien de causalité qui, en l’espèce, n’a pas soulevé de difficulté particulière. En revanche, rappelons qu’il reste plus difficile d’établir le lien de causalité entre la faute du banquier et le préjudice prétendument subi par un garant du fait de la mise en oeuvre de son obligation de garantie (V. Civ. 3e, 8 sept. 2010, Bull. civ. III, n° 149 31 mars 2010, Bull. civ. III, n° 70).
Cour de Cassation, 3ème Chambre civile, 14 mars 2012 n° 11-10291