La Cour d’appel de Paris, statuant en référé, concernant une résidence de tourisme qui, en application des décrets alors applicable, a fermé pendant 69 jours en raison de la pandémie COVID 19, considère que la perte partielle de la chose louée constitue une contestation sérieuse au paiement des loyers, mais pas la force majeure, le manquement à l’obligation de délivrance ou la bonne foi.
En l’espèce, par actes du 26 novembre 2010, dans le cadre d’un investissement sous le bénéfice du régime fiscal de loueur de meublé non professionnel, les appelants ont consenti à la société IInvest, de laquelle vient aux droits la société Staycity France, des baux portant sur des locaux à usage de location meublée professionnelle pour une durée de 11 années entières et consécutives, commençant à courir le 26 novembre 2010.
A la suite de la crise sanitaire, la société Staycity France a suspendu le paiement de ses loyers en faisant valoir qu’elle ne pouvait plus exploiter les lieux à destination de résidence de tourisme telle que prévue aux baux.
Par acte du 29 septembre 2020, plusieurs propriétaires ont fait assigner la société Staycity France devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé aux fins d’obtenir une provision à valoir sur le montant des loyers et sur le préjudice subi du fait de la résistance abusive de la société, outre le règlement de leurs frais et dépens.
Le Bailleur a opposé 4 arguments juridiques:
- le manquement à l’obligation de délivrance
- la force majeure
- l’exigence de bonne foi
- la perte de la chose louée
1- Sur le manquement à l’obligation de délivrance
La Cour d’appel de Paris rappelle qu’aux termes de l’article 1719 du code civil, le bailleur est obligé par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de l’en faire jouir paisiblement pendant la durée du bail.
Ainsi, y compris pendant les périodes de fermeture, les bailleurs ont continué à mettre les locaux loués à la disposition de la société, laquelle n’invoque aucun manquement de leur part à leurs obligations de mise à disposition de locaux conformes à la destination contractuelle. Les locaux permettaient d’exercer l’activité prévue aux baux.
La fermeture administrative de la résidence de tourisme, imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre l’épidémie de Covid-19, n’est pas le fait des bailleurs qui, pour leur part, ont continué à remplir leur obligation de délivrance.
La demande de suspension du paiement des loyers sur le fondement de l’article 1719 du code civil n’est donc pas fondée, l’obligation de paiement n’étant pas sérieusement contestable.
2- Sur la force majeure
La Cour d’appel de Paris considère, et peu importe que ce soit l’ancien texte ou le nouveau texte du code civil qui soit applicable, que le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure.
La force majeure se caractérise par la survenance d’un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, rendant impossible l’exécution de l’obligation.
Or, l’obligation de paiement d’une somme d’argent est toujours susceptible d’exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n’est, par nature, pas impossible : elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse.
Faute de justifier d’une impossibilité d’exécuter son obligation de règlement des loyers, la SARL Staycity France ne démontre ainsi pas le caractère irrésistible de l’événement lié à l’épidémie de Covid-19, la contestation ne pouvant être qualifiée de sérieuse, la jurisprudence, contrairement à ce qu’indique la société intimée, étant parfaitement applicable au cas d’espèce.
3- Sur l’exigence de bonne foi
Pour mémoire, l’article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige, dispose que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ; elles doivent être exécutées de bonne foi.
La Cour d’appel souligne que les bailleurs ne font pas preuve de mauvaise foi en sollicitant judiciairement le règlement des loyers.
De plus, la possibilité donnée au locataire de demander une renégociation du contrat à son cocontractant ne le dispense pas de l’exécution de ses obligations durant la renégociation. En cas d’échec de celle-ci, seul le juge du fond peut adapter le contrat, le réviser ou y mettre un terme.
Il en résulte que la demande excède les pouvoirs du juge des référés et que, dans l’attente d’une éventuelle saisine du juge du fond, l’intimée ne peut se dispenser du paiement des loyers contractuellement dus sur le fondement de ces dispositions, ce même si elle a formé auprès des bailleurs plusieurs propositions de règlement partiel des sommes dues en application du contrat.
3- Sur la perte partielle de la chose louée
Pour mémoire, il résulte de l’article 1722 du code civil que, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement.
Le locataire allègue en substance que la pandémie de Covid-19 et les mesures adoptées par le gouvernement pour lutter contre sa propagation constituent une destruction momentanée de la chose louée par cas fortuit au sens de ce texte, ce qui justifie une exonération du paiement des loyers.
Selon la Cour d’appel, il est à cet égard constant que la destruction de la chose louée peut s’entendre d’une perte matérielle de la chose louée mais également d’une perte juridique, notamment en raison d’une décision administrative et que la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s’entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l’usage de la chose.
La perte partielle de la chose louée n’est pas nécessairement définitive et peut être temporaire.
Selon la Cour d’appel statuant en référé, la société SARL Staycity France a bien subi ici une perte partielle de la chose louée puisqu’elle n’a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, l’absence de toute faute des bailleurs étant indifférente.
Il existe en conséquence une contestation sérieuse sur son obligation au paiement de l’intégralité des loyers pendant les périodes de fermeture administrative c’est à dire pendant les 69 jours.
Cour d’appel de Paris, Pôle 1 chambre 2, 2 juin 2022 n° 21/19440