Selon le Conseil constitutionnel, le droit de préemption reconnu au locataire ou à l’occupant de bonne foi d’un logement, dans le cadre d’une vente consécutive à la division initiale ou à la subdivision de l’immeuble, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur. En revanche, c’est le cas du droit de préemption de la commune, déclaré inconstitutionnel.
Le 6 octobre dernier, le Conseil d’État a transmis au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité de l’article 10 de la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 concernant les locaux mis en vente consécutivement à la division initiale ou à la subdivision de l’immeuble par lots, au droit de propriété et au principe d’égalité garantis par la Constitution.
Pour mémoire, les dispositions visées confèrent:
- un droit de préemption aux locataires ou occupants de bonne foi de locaux destinés en tout ou partie à l’habitation,
- un droit de préemption au profit de la commune en cas de refus du locataire afin qu’elle puisse assurer le maintien du locataire dans les lieux. Cette dernière peut acquérir le bien au prix proposé par le propriétaire ou à un prix inférieur. À défaut d’accord amiable, le prix est fixé par le juge de l’expropriation.
Le Conseil constitutionnel rappelle que le droit de propriété des personnes privées, protégé par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, peut faire l’objet de limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général. Toutefois, les atteintes qui en résultent ne doivent pas être disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.
Selon le juge constitutionnel, le droit de préemption reconnu au profit du locataire et de l’occupant de bonne foi évite à ces derniers le risque de se voir délivrer un congé à l’expiration de leur titre par le nouvel acquéreur, à la suite d’une opération spéculative qu’aurait facilitée la division de l’immeuble. Ce faisant, le texte poursuit bien un objectif d’intérêt général. Or, celui-ci n’implique pas pour autant une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur, grâce aux garanties prévues par la loi. En effet:
- le droit de préemption ne bénéficie pas aux locataires et occupants de bonne foi dont le bail ou l’occupation sont postérieurs à la division ou la subdivision de l’immeuble, puisqu’ils ne sont pas exposés au même risque de congé;
- le droit de préemption s’exerce seulement dans un délai de deux mois après la notification de l’offre de vente, et aux prix notifié par le propriétaire.
- la loi prévoit plusieurs exceptions : le droit de préemption ne s’applique ni à la vente d’un bâtiment entier, ni à celle intervenant entre parents ou alliés jusqu’au quatrième degré inclus, ni à celle relative à certains immeubles à destination de logement social.
Ainsi, l’atteinte portée au droit de propriété du bailleur par le droit de préemption reconnu au locataire et à l’occupant de bonne foi reste proportionnée à l’objectif de protection du logement poursuivi par le législateur.
Ceci étant, le droit de préemption du locataire et de l’occupant de bonne foi est déclaré conforme à la Constitution.
En revanche, il n’en va pas de même du droit de préemption de la commune.
- D’une part, le Conseil constitutionnel fait grief à la loi de ne pas avoir restreint l’usage que la commune peut faire du bien acquis. En ne lui imposant aucune obligation de maintien dans les lieux du locataire ou de l’occupant, à l’échéance du bail ou à l’expiration du titre, l’objectif d’intérêt général cesse d’être poursuivi et l’atteinte au droit de propriété qui en découle n’est plus justifiée.
- D’autre part, le Conseil constitutionnel voit dans les conditions d’exercice du droit de préemption de la commune une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur. Il vise particulièrement la disposition selon laquelle le propriétaire est contraint d’attendre un délai de six mois pour pouvoir de nouveau librement disposer de son bien, à compter de la décision de la commune d’acquérir le bien au prix demandé, de la décision définitive du juge de l’expropriation, de l’acte ou du jugement d’adjudication, si dans ce délai, le paiement de la commune n’est pas intervenu.
Ainsi, les deux derniers alinéas du paragraphe I de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1975, ajoutés par la loi du 24 mars 2014, sont déclarés inconstitutionnels, à compter de la date de publication de la présente décision.
[ Décision 2017-683 QPC – 09 janvier 2018 – M. François P. Droit de préemption en cas de vente consécutive à une division d’immeuble] – Non conformité partielle – réserve