Une cour d’appel ne peut retenir que les désordres relèvent de la garantie décennale au motif que le maître d’ouvrage a réceptionné tacitement les travaux, sans préciser la date à laquelle cette réception tacite serait intervenue.
En l’espèce, une société civile immobilière avait confié à un locateur d’ouvrage la rénovation d’un bâtiment. Le maître d’ouvrage avait pris possession des lieux alors que les travaux étaient toujours en cours et sans que les opérations de réception ne soient formalisées. Se plaignant de désordres et d’inachèvement, le maître d’ouvrage avait assigné son cocontractant sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs. L’assureur refusait sa garantie au motif, qu’en raison de son état d’inachèvement et des graves malfaçons qui le rendaient impropre à sa destination, l’immeuble n’avait pu être réceptionné. Il revenait donc à la cour d’appel de déterminer si la réception tacite s’était produite.
Les juges d’appel avaient fait droit à la demande du maître de l’ouvrage après avoir relevé que ce dernier avait payé les entrepreneurs et avait pris possession des lieux. Ils notaient également qu’un huissier avait constaté l’abandon apparent du chantier et que l’entrepreneur, en liquidation judiciaire, n’était plus en mesure de reprendre les travaux.
Il s’agit d’indices retenus classiquement par la jurisprudence pour caractériser la réception tacite dès lors qu’ils permettent de démontrer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage d’accepter les travaux ou la résiliation du contrat d’entreprise (V. Civ. 3e, 19 oct. 2010, n° 09-70.715), et ce en dépit de l’inachèvement de l’immeuble (Civ. 3e, 25 janv. 2011, RDI 2011. 221, obs. B. Boubli).
L’arrêt d’appel est cependant censuré pour ne pas avoir précisé la date à laquelle la réception tacite aurait eu lieu. La haute juridiction rappelle ainsi que les juges ne doivent pas se contenter de relever les éléments qui caractérisent la réception tacite mais qu’il leur incombe également de préciser la date à laquelle elle est intervenue.
C’est en effet cette date qui constitue le point de départ des effets juridiques attachés à la réception. La seule constatation de la réception est insuffisante à enclencher le régime de la garantie décennale. Il faut encore établir que les désordres ont été dénoncés antérieurement ou postérieurement à la réception.
Cette datation est une question de fait soumise à l’appréciation des juges du fond. En pratique, elle ne sera pas toujours aisée à réaliser puisque la réception tacite résulte d’un ensemble d’éléments de fait qui peuvent ne pas être concomitants mais, au contraire, se succéder dans le temps. Les juges doivent rechercher quel est l’événement prépondérant qui caractérise de manière non équivoque la volonté du maître de l’ouvrage d’accepter les travaux.
Rappelons que les parties peuvent fixer conventionnellement l’événement, en pratique la prise de possession, qui constituera le moment de la réception de l’immeuble. Les juges perdent alors tout pouvoir d’appréciation en la matière et ne peuvent que constater la réception une fois cet événement survenu (V. Civ. 3e, 31 janv. 2007, RDI 2007. 280, obs. B. Boubli).
Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 30 mars 2011 n° 10-30116