Le Conseil d’Etat répond à de nombreuses interrogations que soulève le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale s’agissant de la procédure de délivrance du permis, de son régime contentieux et des conséquences de son annulation.
Lorsqu’un projet est soumis à une autorisation d’exploitation commerciale et nécessite aussi un permis de construire, ce permis tient lieu d’autorisation d’exploitation commerciale dès lors que la demande de permis a fait l’objet d’un avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) ou de la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) (C. urb. art. L 425-4).
Chargée d’un litige concernant un permis de construire un supermarché accordé avant que la CNAC, saisie d’un recours contre l’avis de la CDAC, ait rendu son propre avis, la cour administrative d’appel de Nancy s’est trouvée face à de nombreuses difficultés.
Elle a transmis le dossier au Conseil d’Etat pour qu’il émette un avis sur l’instruction d’un tel permis, sa procédure contentieuse et les effets de son annulation.
A. PROCÉDURE DE DÉLIVRANCE DU PERMIS
Le Conseil d’Etat rappelle que la demande de permis, déposée à la mairie de la commune dans laquelle le projet est envisagé, est transmise par le maire à la CDAC afin qu’elle vérifie la conformité du projet aux dispositions relatives à l’aménagement commercial (C. com. art. R 752-9 ; C. urb. art. R 423-13-2).
L’avis de la CDAC peut faire l’objet d’un recours devant la CNAC dans un délai d’un mois. Pour les projets dont la surface de vente atteint au moins 20 000 m², la CNAC peut même se saisir elle-même du projet dans le délai d’un mois suivant l’avis émis par la CDAC (C. com. art. L 752-17).
Dans l’un ou l’autre cas, la CNAC rend un avis qui se substitue à celui de la CDAC. En l’absence de réponse dans les 4 mois, son avis est réputé confirmer celui de la CDAC.
La délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale n’est donc possible que dans trois hypothèses :
- l’avis de la CDAC est favorable et ne fait l’objet, dans le délai d’un mois, ni d’un recours devant la CNAC, ni d’une auto-saisine de la CNAC ;
- l’avis, favorable ou défavorable, de la CDAC fait l’objet d’un recours devant la CNAC ou d’une auto-saisine de celle-ci et la CNAC rend un avis exprès favorable ;
- l’avis de la CDAC est favorable et il est confirmé par le silence gardé par la CNAC plus de 4 mois, soit sur un recours porté devant elle, soit à la suite de son auto-saisine.
Lorsque la CDAC a rendu un avis favorable mais que la CNAC a été saisie d’un recours ou s’est auto-saisie, l’autorité compétente pour délivrer le permis de construire en est informée par le président de la CNAC (C. com. art. R 752-32 et R 752-42).
Le délai d’instruction du permis est alors prolongé de 5 mois (C. urb. art. R 423-36-1) et l’autorité compétente pour délivrer le permis doit attendre l’avis, exprès ou tacite, de la CNAC pour délivrer le permis.
Pour le Conseil d’Etat, un permis délivré avant l’intervention de cet avis (exprès ou tacite) est illégal.
En revanche, un permis délivré avant l’expiration du délai d’un mois imparti pour la saisine ou l’auto-saisine de la CNAC mais à une date où il n’y a encore ni saisine, ni auto-saisine (cas de figure qui ne devrait se rencontrer que très rarement), ne se trouverait pas entaché d’illégalité « de ce seul fait ».
Compte tenu de l’insécurité qui résulterait de ce que la légalité du permis pourrait être ultérieurement mise en cause à raison d’un avis négatif de la CNAC, en cas de recours ou d’auto-saisine, le Conseil d’Etat recommande à l’administration d’éviter de délivrer un permis avant l’expiration du délai d’un mois.
B. PROCÉDURE CONTENTIEUSE
Parmi les personnes admises à exercer un recours contre un permis de construire valant autorisation commerciale, il y a les professionnels dont l’activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour le projet, est susceptible d’être affectée par celui-ci (C. com. art. L 752-17, I).
Ce sont les concurrents. Ces professionnels-là ne peuvent attaquer le permis qu’en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale (C. urb. art. L 600-1-4).
Sont-ils soumis, comme tout tiers qui conteste un permis, aux délais et formalités contentieuses du droit commun des autorisations d’urbanisme ?
Pour le Conseil d’Etat, le délai de recours contre le permis court à l’égard de ces concurrents dans les conditions de droit commun, c’est-à-dire à compter du premier jour d’une période continue de 2 mois d’affichage du permis sur le terrain (C. urb. art. R 600-2).
En effet, même s’ils ne sont pas nécessairement voisins du terrain d’assiette du projet, ils ont été informés sur l’existence de la demande de permis en raison, notamment, de la publicité donnée à la décision de la CDAC (C. com. art. R 752-30).
Le Conseil d’Etat précise toutefois que dans le cas exceptionnel où la CNAC, régulièrement saisie, rend son avis après la délivrance du permis, la publication de cet avis (C. com art. R 752-39) ouvre à l’égard des concurrents un délai de 2 mois pour attaquer le permis.
Ils peuvent ainsi saisir le tribunal administratif alors même que le délai de 2 mois à compter de l’affichage du permis est expiré.
Cette solution est justifiée par le fait que pour les concurrents, la saisine de la CNAC est un préalable obligatoire à tout recours contentieux contre le permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale (C. com. art. L 752-17, I ; C. urb. art. R 425-4).
L’obligation de notifier le recours contre le permis à son titulaire et à l’autorité qui l’a délivré (C. urb. art. R 600-1) vaut, y compris pour les concurrents qui attaquent un permis valant autorisation d’exploitation commerciale.
C. EFFETS D’UNE ANNULATION CONTENTIEUSE
Comme indiqué ci-avant, un concurrent peut seulement demander l’annulation du permis en tant qu’il vaut « autorisation commerciale » (C. urb. art. L 600-1-4).
Le volet « autorisation de construire » du permis ne peut être attaqué que par quelqu’un ayant « intérêt à agir » au regard du droit de l’urbanisme.
Le juge administratif, qui ne peut pas aller au-delà des conclusions qui lui sont soumises, ne peut donc annuler le permis sur la demande d’un concurrent qu’en tant qu’il vaut autorisation d’exploitation commerciale.
L’annulation du volet « commercial » du permis fait-il obstacle à la réalisation du projet ?
Oui, répond le Conseil d’Etat.
Pour mener le projet à bien, il faut obtenir un nouveau permis valant autorisation d’exploitation commerciale.
Mais si les modifications à apporter au projet au plan commercial n’affectent pas la légalité des travaux au regard du droit de l’urbanisme, un nouveau permis peut, à la demande du pétitionnaire, être délivré au seul vu d’un nouvel avis favorable de la CDAC ou, le cas échéant, de la CNAC.
Cette solution ne résulte pas de la lettre des dispositions applicables, dont on aurait pu déduire qu’une annulation limitée à l’autorisation d’exploitation commerciale n’interdisait pas de mettre en œuvre l’autorisation de construire.
Elle est justifiée par l’idée que le législateur a voulu que le permis de construire ne puisse être délivré que si le pétitionnaire dispose d’une autorisation d’exploitation commerciale.
Enfin, Le Conseil d’Etat indique que, comme pour tout permis de construire, les règles gouvernant les pouvoirs et devoirs du juge sont applicables au permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale.
Il en va ainsi notamment de la possibilité accordée au juge de surseoir à statuer lorsqu’un vice entraînant l’illégalité d’un permis peut être régularisé par un permis modificatif (C. urb. art. L 600-5-1).
Conseil d’État, 4ème – 5ème chambres réunies, 23/12/2016 n°398077