Par une requête présentée au Président du Tribunal de Grande Instance de Grasse, un organisme de crédit ainsi que divers particuliers ont souhaité – en utilisant les dispositions de l’article 1441-4 du code de procédure civile – voir donner force exécutoire à la transaction qu’ils avaient signée. La transaction emportait cession de droits réels immobiliers. Elle prévoyait dans son article 6, consacré à la publicité foncière, qu’il serait sollicité du greffe le transfert de l’expédition revêtue de la formule exécutoire de la décision à intervenir aux services de l’enregistrement pour permettre la publicité foncière du protocole et de la décision lui donnant force exécutoire.
Précisions sur la notion de transfert de l’expédition revêtue de la formule exécutoire aux services de l’enregistrement : il faut savoir que les notaires qui rédigent un acte emportant cession de droits réels immobiliers, en d’autres termes, un acte de vente immobilière, bénéficient du système de la formalité unique. C’est-à-dire qu’ils adressent leur acte au conservateur des hypothèques et ce dernier règle les services des impôts pour pouvoir publier.
Or, les avocats qui doivent publier des décisions emportant cession de droits réels immobiliers, notamment les procès-verbaux d’adjudication après saisie immobilière, sont soumis au système de la double formalité.
Le système de la double formalité consiste en cela : le greffe conserve le PV d’adjudication et le transfère aux services des impôts, qui adressent à l’avocat le montant des droits à payer, usant d’un droit de rétention sur le titre de propriété jusqu’au règlement. L’avocat règle bien évidemment toujours dans les délais.
Le greffe délivre alors la copie spéciale destinée à la publicité foncière (reproduction du jugement d’adjudication sur copie spéciale destinée à la conservation des hypothèques, avec certification par le greffe de sa conformité à l’originale).
Revenons à notre décision : l’avocat rédacteur du protocole a alors demandé au Président du Tribunal de Grande Instance que l’ordonnance qui constatera le transfert de propriété, soit adressée directement par le greffe aux services des impôts pour le règlement des droits de mutations. Le greffe délivrera ensuite la copie spéciale qui permettra la publication.
Contre toute attente, le président du Tribunal de Grande Instance de Grasse a rejeté la requête. Appel a été interjeté de cette décision. La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a confirmé la première décision en indiquant que les notaires disposaient d’un monopole en matière de transfert de droits réels immobiliers.
Un pourvoi a été formé contre l’arrêt d’appel.
L’arrêt de la Cour de Cassation sera ici intégralement reproduit puisqu’il rappelle au visa de l’article 1441-4 du Nouveau Code de Procédure Civile, aujourd’hui CPC, le principe selon lequel »le Président du Tribunal de Grande Instance saisi sur requête par une partie à une transaction, confère force exécutoire à l’acte qui lui est présenté ».
L’arrêt est ainsi rédigé :
LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l’article 1er de l’ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945, ensemble les articles 2052 du Code civil, 3 de la loi du 9 juillet 1991, modifié par celle du 22 novembre 1999, 1441-4 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que la compétence des notaires ne s’oppose pas à ce que le juge saisi sur requête donne force exécutoire à une transaction opérant transfert de droits immobiliers, conférant ainsi judiciairement à celle-ci un caractère authentique, permettant son enregistrement et sa publication sous réserve du respect des dispositions régissant la publicité foncière ;
Attendu que, par transaction du 26 août 2003, les époux X… ont déclaré acquiescer au montant de la créance de la Société GE Capital Bank pour une somme de 99 435,36 euros et faire dation en paiement en pleine propriété aux époux Y… d’un bien immobilier sur lequel la banque avait engagé une procédure de saisie immoblière ; que les époux Y… ayant versé la somme représentant le montant de la créance due à la banque, cette dernière les a subrogés dans ses droits au titre des versements effectués, a renoncé à la poursuite de saisie immobilière, donné mainlevée de l’inscription de privilège de vendeur et de prêteur de deniers et procédé à la radiation du commandement de saisie immobilière ; que les parties à la transaction ayant demandé son homologation, elle leur a été refusée par ordonnance du 3 octobre 2003, non rétractée le 14 octobre 2003, confirmée par arrêt du 25 février 2004 ;
Attendu que pour refuser de conférer la force exécutoire à une transaction valant cession de droits réels immobiliers, la cour d’appel a retenu qu’il existait un monopole des notaires pour recevoir les contrats devant revêtir un caractère authentique et que si ce monopole n’est pas absolu, ce n’est qu’à titre exceptionnel que la loi permet à un officier public ou à un fonctionnaire spécialement désigné de recevoir un acte relevant de la volonté des parties, que quelles que soient les garanties que présente un accord intervenu devant un avocat, il ne s’agit pas d’un acte authentique ; que la forme authentique étant requise pour permettre la publicité d’un contrat entrainant la cession convenue, l’accord du 26 août 2003 ne pouvait être publié ;
En quoi la cour d’appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 25 février 2004, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon.
La Cour de Cassation censure alors la cour d’Appel d’Aix-en-Provence qui a retenu d’une part qu’il existait un monopole des notaires pour recevoir les contrats devant revêtir un caractère authentique et que si ce monopole n’était pas absolu, ce n’est qu’à titre exceptionnel que la loi permet à un officier public ou à un fonctionnaire spécialement désigné de recevoir un acte relevant de la volonté des parties, et d’autre part que quelles que soient les garanties que présente un accord intervenu devant un avocat, il ne s’agissait pas d’un acte authentique.
La Cour de Cassation renvoie alors la cause et les parties devant la Cour d’Appel de Lyon qui rendra une décision reprenant l’argumentaire de la Cour de cassation, à savoir que les ventes ne sont pas le monopole des notaires, que les avocats lorsqu’ils le demandent, en invoquant l’article 1441-4 du code de Procédure Civile, peuvent rédiger des actes qui auront force exécutoire au même titre qu’un acte notarié.
La cour d’appel de Lyon a rendu son arrêt en ce sens :
Attendu que la cour relève que la compétence des notaires ne s’oppose pas à ce que le juge saisi sur requête donne force exécutoire à une transaction opérant transfert de droits immobiliers, conférant ainsi juridiquement à celle-ci un caractère authentique, permettant son enregistrement et sa publication sous réserve du respect des dispositions régissant la publicité foncière,
qu’il convient d’infirmer l’ordonnance entreprise et, statuant à nouveau, de conférer force exécutoire à la transaction du 26 aout 2003, en toutes ses dispositions et, en particulier, en ce qu’elle prévoit le transfert de la grosse exécutoire à intervenir aux services de l’enregistrement compétents pour permettre la publicité foncière du protocole et de la décision lui donnant force exécutoire ;
qu’il y a lieu de préciser que la transaction du 26 août 2003 en question sera, à cette fin, annexée à la minute et aux expéditions de la présente décision…
conclusion :
Il ne nous reste plus qu’à utiliser l’article 1441-4 du Code de Procédure Civile pour faire trembler les notaires et ainsi, avec l’appui de la jurisprudence de la Cours de Cassation, s’immiscer dans ce secteur jusque là protégé que sont les ventes amiables immobilières.
Cour de Cassation, première chambre civile du 16 mai 2006, n°04-13467