Les règles de prescription de l’action en responsabilité contre le sous-traitant introduite par l’ordonnance du 8 juin 2005 portant modification de diverses dispositions relatives à l’obligation d’assurance dans le domaine de la construction ne sont pas applicables aux litiges en cours.
Un couple confie la construction d’une maison à une entreprise du bâtiment, laquelle a sous-traité la réalisation du lot chauffage à un artisan. Des dysfonctionnements du chauffage étant apparus, le couple obtient la condamnation de l’entrepreneur principal, maître de l’ouvrage. Certes, en l’occurrence, la faute n’est pas imputable à ce dernier, mais, l’entrepreneur principal répond, vis-à-vis du maître de l’ouvrage, son client, des agissements du sous-traitant sur le fondement de la responsabilité contractuelle. Ce qui ne prive pas le maître de l’ouvrage condamné d’exercer une action récursoire contre le sous-traitant, responsable in fine du dommage. Ce qu’il a fait.
Or, l’entrepreneur principal s’est heurté à un problème de prescription. En effet, les dysfonctionnements sont apparus en 1994, c’est-à-dire à une époque où le régime de la prescription applicable à la responsabilité contractuelle du sous-traitant n’était envisagé par aucun texte (cela vaut pour la responsabilité en général, le régime de la responsabilité du constructeur, considéré comme trop sévère, étant écarté). La jurisprudence a donc appliqué le délai de droit commun, soit alors, s’agissant d’un litige entre commerçants, dix ans (art. L. 110-4, I, c. com. ; depuis lors, ce délai a été abaissé à cinq ans, V. L. 17 juin 2008, art. 15, réformant la prescription).
De plus, le point de départ est, en principe, la livraison de l’ouvrage – ici le lot de chauffage et non le pavillon – par le sous-traitant à l’entrepreneur principal. Mais la Cour de cassation a toutefois précisé que ce délai ne pouvait courir que du jour où l’entrepreneur avait été lui-même assigné par le maître de l’ouvrage (Civ. 3e, 29 janv. 1992, Bull. civ. III, n° 32). Si l’on applique ces règles, dès lors que l’entrepreneur principal a été assigné par le maître de l’ouvrage en 2001 et que ce dernier a engagé une action contre le sous-traitant en 2006, soit quelque cinq années plus tard, cette action n’est pas prescrite.
Mais c’était sans compter sur l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005 portant modification de diverses dispositions relatives à l’obligation d’assurance dans le domaine de la construction et aux géomètres experts, dont l’article 2 a créé un nouvel article 2270-2 du code civil (devenu l’art. 1792-2-2 à la suite de la loi du 17 juin 2008). Cet article s’est proposé, dans un souci d’harmonisation et de sécurité juridique, d’unifier et par conséquent de simplifier le régime de prescription de responsabilité en appliquant aux sous-traitants les mêmes dispositions qu’aux entreprises principales, soit une prescription de dix ans « à compter de la réception des travaux ».
La doctrine s’est immédiatement demandée s’il fallait prendre en compte la réception des travaux exécutés par le sous-traitant (les travaux de chauffage) ou celle de l’ensemble des travaux auxquel le sous-traitant a participé (la construction du bâtiment).
C’est la seconde hypothèse qui semble récolté les suffrages. De toute façon, quelle que soit la solution adoptée, l’action se trouve en l’occurrence prescrite (l’année de la réception du pavillon, qui est la plus tardive des deux est 1994, tandis que l’action de l’entrepreneur principal contre le sous-traitant a été engagée en 2006, soit douze ans plus tard). Il convient, en effet, d’observer que l’ordonnance de 2005 ne prend absolument pas en compte le fait que l’action de l’entrepreneur contre le sous-traitant soit de nature récursoire ; cela n’a pas pour conséquence de retarder, au jour de l’exercice de cette action, le point de départ du délai.
Quelle solution adopter ? L’ordonnance de 2005 nous donne, en son article 5, des éléments d’indication quant à l’application dans le temps de la loi nouvelle : « Les dispositions du présent titre [relatif à l’assurance et à la responsabilité dans le domaine de la construction], à l’exception de celles de l’article 2, ne s’appliquent qu’aux marchés, contrats ou conventions conclus après la publication de la présente ordonnance« . Ce dont il faut déduire a contrario que les dispositions de l’article 2 relatives à la prescription sont d’application immédiate, y compris pour les contrats en cours. Raisonnement que la Cour de cassation a fait sien. Mais si l’on avait appliqué la loi nouvelle immédiatement, cela aurait aboutit à léser les intérêts du constructeur, dont l’action allait se retrouver prescrite, en quelque sorte à son insu. D’où le choix logique, tant au nom de la justice que de l’impératif de sécurité juridique, d’écarter l’application de la loi nouvelle. Encore fallait-il lui trouver un fondement.
Il faut pour cela partir du constat que, à partir du moment où la loi nouvelle aboutit à modifier les effets d’une situation juridique créée avant son entrée en vigueur, elle présente en réalité un caractère rétroactif, ce que souligne précisément la Cour de cassation. Pour écarter le nouveau délai de prescription, elle considère qu’il ne s’applique pas aux litiges en cours, ce qu’elle est assurément en droit d’affirmer. En effet, une loi rétroactive peut valablement être applicable à des litiges en cours, mais c’est semble-t-il à la condition expresse qu’elle le précise (V. par ex. L. n° 75-597, 9 juill. 1975, art. 3, D. 1975. Lég. 240, à propos de l’introduction du pouvoir judiciaire de révision du montant des clauses pénales : « La présente loi est applicable aux contrats et aux instances en cours »), ce que ne fait pas l’ordonnance de 2005.