Le bailleur peut procéder à une saisie conservatoire basée sur un prérapport d’expertise judiciaire déterminant le montant du loyer du bail commercial renouvelé car la créance est fondée en son principe et qu’il existe un risque dans le recouvrement des créances. ll peut même obtenir un nantissement sur le fonds de commerce.
Pour mémoire, l’article L 511-1 du code des procédures civiles d’exécution prévoit que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. La mesure conservatoire prend la forme d’une saisie conservatoire ou d’une sûreté judiciaire.
Sur la créance paraissant fondée en son principe
En l’espèce, c’est de manière tout à fait pertinente que le premier juge a énoncé que même si une instance en fixation du loyer commercial est en cours, que le rapport d’expertise judiciaire définitif n’a pas été déposé et qu’il appartiendra à la juridiction des loyers commerciaux de fixer le montant du loyer déplafonné à compter du 1er avril 2010, il n’en demeure pas moins que Madame [K], expert judiciaire, commis par jugement du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Strasbourg en date du 9 janvier 2019, a déposé un pré-rapport d’expertise très circonstancié en date du 4 avril 2021, au terme duquel elle a fixé à la somme de 158 000 euros par an la valeur locative du fonds de commerce litigieux au 1er avril 2010.
Ainsi, la société locataire s’étant acquittée depuis 2010 d’un loyer annuel de l’ordre de 83 293 euros, il en résulte une créance paraissant fondée en son principe au bénéfice du propriétaire bailleur susceptible d’atteindre 74 700 euros par an soit 747 070 euros sur dix ans, sans préjudice des sommes échues à compter du 1er avril 2021.
Par ailleurs, il appartiendra à la juridiction, et non au juge de l’exécution ou à la cour de statuer sur les abattements éventuels, qui ne sont à l’heure actuelle qu’hypothétiques.
La créance, telle que retenue par le premier juge, apparaît ainsi fondée en son principe.
Sur les circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de la créance
Le bailleur justifie également d’une menace pesant sur le recouvrement de la créance.
Les éléments comptables enseignent que le preneur connaît une situation gravement déficitaire depuis plusieurs années, et évite le dépôt de bilan à la faveur d’apports de trésorerie et d’abandons de créance consentis par sa société mère.
C’est en vain que le preneur rattache cet état de fait aux baisses conjoncturelles d’activité liées aux attentats, aux manifestations des « gilets jaunes », aux contrôles de sécurité mis en place sur la période du marché de Noël, voire à la pandémie liée au covid-19, alors que le caractère déficitaire des résultats est antérieur à ces aléas.
Par ailleurs, la prétendue créance à provenir d’une action en responsabilité contre l’huissier ayant instrumenté la demande de renouvellement est hypothétique, faute de démonstration d’un lien de causalité entre la faute de l’huissier et la fixation du loyer à la valeur locative des locaux.
Il convient donc également de faire droit à la demande d’inscription d’un nantissement provisoire sur le fonds de commerce et sur les fonds secondaires, cette mesure ne faisant pas obstacle à une cession de ces éléments.
Cour d’appel, Colmar, 3e chambre, section A, 20 Février 2023 n°22/01846