Cette décision apporte deux enseignements majeurs, d’une part, l’unanimité est nécessaire, sauf cause contraire, pour modifier les statuts d’une société civile, d’autre part, que la dilution de la participation du minoritaire doit être annulé en cas d’abus, et enfin, le fait de ne pas distribuer les dividendes au détriment d’un associé est un abus de majorité.
Le principe d’unanimité, sauf clause contraire, pour modifier les statuts d’une société civile est une disposition impérative. La méconnaissance des règles statutaires de majorité renforcée requise pour modifier les statuts est sanctionnée par la nullité.
Cette décision se révèle riche en ce qu’elle permet de revenir, d’une part, sur l’annulation de décisions collectives dont l’une a modifié l’objet social et, d’autre part, sur la mise en réserve systématique de dividendes.
En l’espèce, une société civile, comprenant deux associés (un associé personne morale pour les deux-tiers du capital social, et un associé personne physique pour le tiers restant) avait pour objet social l’acquisition et l’exploitation d’un immeuble.
Diverses assemblées générales s’étaient tenues, dont l’une avait prévu une augmentation de capital social destinée à financer le coût de travaux dans l’immeuble avant sa mise en location. Cette augmentation réalisée avec droit préférentiel de souscription et sans prime d’émission, avait été souscrite en totalité par la société associée majoritaire.
Une autre assemblée générale avait, en outre, modifié l’objet social de la société civile afin de rendre possible la gestion de tous immeubles et biens immobiliers (et non seulement celle du seul immeuble détenu par la société) et de prévoir la cession de ces immeubles. L’associé majoritaire (la personne morale donc) avait ainsi signé par la suite une promesse de vente de cet immeuble.
Par ailleurs, pendant trois ans les assemblées générales avaient affecté en réserve la totalité du résultat.
Le second associé minoritaire, personne physique, réclamait alors en justice l’annulation de certaines décisions collectives, notamment de la résolution ayant modifié l’objet social et celles ayant décidé de l’affectation des bénéfices. Il demandait également la liquidation de la société avec désignation d’un liquidateur judiciaire.
La cour d’appel a tout d’abord annulé la délibération relative à l’augmentation de capital pour abus de majorité. Elle a considéré que cette augmentation était contraire à l’intérêt social dès lors qu’elle se trouvait sans cause légitime, et n’avait pour seul objet que de diluer la participation du minoritaire avant que le produit de la vente de l’immeuble ne soit perçu par l’associé majoritaire. La chambre commerciale approuve les juges du fond sur ce premier point.
Dans le second moyen, elle approuve également la cour d’appel en ce qu’elle a prononcé la nullité de la résolution de l’assemblée générale ayant modifié l’objet social, décidé de la dissolution de la société et désigné un administrateur en charge de la liquidation.
Pour les magistrats de la troisième chambre civile, le principe d’unanimité, sauf clause contraire, pour modifier les statuts posés par l’article 1836 du code civil relève des dispositions impératives du titre visé par l’article 1844-10 du même code.
Il en résulte que la méconnaissance des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts est sanctionnée par la nullité. Cette solution de la Cour de cassation mérite l’attention des praticiens du droit des sociétés qui devront prendre garde à respecter cette règle lorsqu’ils envisageront de modifier l’objet social d’une société.
La nullité encourue et ses conséquences pratiques sont loin d’être anodines si le temps a passé entre la modification de l’objet social et le jugement qui prononcera sa nullité.
Enfin, la haute juridiction retient également, dans le troisième moyen, l’abus de majorité en raison des décisions de report systématique de la totalité des bénéfices dans les réserves. Elle conforte la cour d’appel qui a annulé les résolutions litigieuses et qui a relevé que ces reports privaient l’associé minoritaire de la perception de tout dividende (V. Civ. 3e, 7 févr. 2012, n° 10-17812).
Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 8 juillet 2015 n° 13-14348